Résolution historique toujours en attente

Résolution historique toujours en attente

Heather Tasker

Le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la 9èmerésolution sur les femmes, la paix et la sécurité (FPS), Résolution 2467, le 24 avril 2019 après un long débat en coulisse.  Le projet de résolution a été proposé par l’Allemagne et soutenu par la France. Au cours du dernier mois, la résolution, ainsi que la manière dont elle a été adoptée, ont suscité beaucoup d’interventions, plusieurs universitaires et activistes mettant l’accent sur les inconvénients et sur ce qui a été perdu dans le processus d’adoption de la résolution et certain-e-s remettant en question l’utilité du programme FPS.

Malgré ces critiques réelles et très importantes, la résolution comportait des points forts clés.  Une résolution antérieure (Rés. 2106) reconnaissait brièvement que les hommes et les garçons pouvaient être victimes de violence sexuelle en temps de conflit, mais la résolution 2467 s’attarde assez longuement sur les survivants de sexe masculin et fait ressortir les besoins particuliers de ces derniers et l’absence de dispositions les concernant.  Il s’agit d’une avancée importante, puisque le soutien aux survivants de sexe masculin fait cruellement défaut dans la plupart des contextes de conflit et d’après-conflit.  Une résolution qui reconnaît les besoins des hommes et des garçons et confirme que la violence qu’ils subissent est sexuelle et genrée indique au moins un certain degré de volonté politique de répondre à leurs besoins.

De même, si les résolutions antérieures reconnaissent que les femmes peuvent tomber enceinte à la suite de viols liés aux conflits, la Résolution 2467 fait ressortir les besoins des enfants nés de cette violence, reconnaissant la stigmatisation et la discrimination dont ils/elles font l’objet ainsi que les problèmes tels que l’apatridie et la dépossession économique.  Les enfants nés du viol sont rarement reconnus comme survivant-e-s de conflits et les préjudices intergénérationnels de la violence sexuelle liée aux conflits ne sont pas encore traités comme il se doit dans la plupart des régions. La Résolution 2467 offre l’occasion d’attirer l’attention sur les besoins des enfants et des jeunes nés de relations violentes en temps de guerre.

La Résolution 2467 est aussi la première résolution consacrant plusieurs paragraphes à l’exclusion économique, notamment comme contribuant aux violences sexuelles subies par les femmes tant au sein qu’en dehors des contextes de conflit, et pour les survivant-e-s de violence sexuelle liée aux conflits.  Si les résolutions antérieures ne faisaient aucunement mention de la pauvreté ni des besoins économiques des survivantes et survivants, la Résolution 2467 va dans la bonne direction en tenant compte des préjudices et des vulnérabilités structurelles qui contribuent à la violence fondée sur le genre en temps de conflit.  La résolution souligne également l’importance du contrôle des armes et du commerce responsable des armes, reprenant l’esprit initial de la Résolution 1325 et ses objectifs généraux de démilitarisation.

La Résolution 2467, plus que toutes les résolutions précédentes, considère que la violence sexuelle en temps de conflit s’inscrit dans une continuité entre les contextes de paix, de conflit et d’après-conflit, reconnaissant qu’un soutien doit être assuré et des mesures prises dans toutes les périodes pour faire face à la violence et à la discrimination et assurer la sécurité des femmes en temps de guerre. Dans le débat public, tous les points mentionnés plus haut ont été soulignés par bon nombre d’intervenant-e-s et Mme Pramila Patten, représentante spéciale des Nations Unies chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit, a parlé en particulier de l’importance de la réintégration et de l’accompagnement des survivantes du mariage forcé et de l’esclavage sexuel après leur évasion ou leur mise en liberté.  Une étude menée par le projet de partenariat sur l’Esclavage conjugal en temps de guerre décrit l’exclusion et la marginalisation dont font souvent l’objet les survivantes d’enlèvements à des fins de mariage forcé.  Cette étude a révélé que, dans tous les contextes, les survivantes doivent bénéficier d’un soutien constant et avoir accès à des réparations financières, à l’éducation et à des soins de santé pour réintégrer leurs communautés.  La prise en compte de ces besoins est une avancée importante et louable vers une conception plus inclusive et multidimensionnelle de la violence sexuelle en temps de conflit et de ses effets.

Tant le projet de résolution que les intervenant-e-s dans le débat ont souligné l’importance d’incorporer les femmes aux processus de paix, de mieux faire entendre leurs voix dans les espaces politiques et d’intégrer des femmes dans les missions de maintien de la paix.  Ces déclarations sont toutefois plutôt tombées à plat car tous les représentants des 15 États membres du Conseil de sécurité étaient des hommes.  Le fait que 15 hommes intégrant ce qui est sans doute l’organe décisionnel le plus influent en politique internationale dénoncent la faible participation des femmes à la prise de décisions politiques dans les pays touchés par des conflits était évocateur.  C’était particulièrement décourageant si l’on considère que des passages importants garantissant les droits reproductifs des survivantes de violence sexuelle ont été supprimés de la résolution finale, soumettant, encore une fois, l’autonomie du corps des femmes au pouvoir décisionnel des hommes.  Le projet de résolution initial contenait des dispositions prévoyant des soins de santé reproductive pour les survivantes, dont l’accès à la contraception d’urgence et à une interruption de grossesse sans danger.  Dans la version mise en circulation peu avant le débat public, il n’était plus fait mention de la contraception ni de l’avortement, mais les soins de santé sexuelle et reproductive y apparaissaient comme un élément essentiel des soins offerts aux survivantes à la suite d’une agression sexuelle.  Il est apparu clairement au début du débat public, et grâce à des membres du public qui avaient reçu une copie papier et publiaient sur Twitter depuis la tribune, que toute mention des soins de santé sexuelle et reproductive avait été supprimée.    Cela s’est fait sur l’insistance des États-Unis, qui ont affirmé qu’ils opposeraient leur veto à toute résolution contenant ces dispositions, même si elles avaient déjà été convenues dans des résolutions antérieures.  Des réactions d’indignation ont suivi, plusieurs chercheurs, chercheuses, intervenantes et intervenants se demandant ce qui était perdu du fait de ces concessions et si cela valait la peine rien que pour adopter une autre résolution FPS.

En plus de l’omission des passages concernant les garanties nécessaires en matière de santé sexuelle et reproductive, le représentant canadien a également dit regretter que les besoins des personnes LGBTQI ne soient pas pris en compte et Mme Pramila Patten a admis que, malgré les huit résolutions précédentes, la situation a peu évolué en ce qui concerne la violence sexuelle en temps de conflit.  Si nous ne pouvons pas obtenir du Conseil de sécurité qu’il appuie un texte déjà édulcoré concernant les soins aux victimes d’agression sexuelle, si les résolutions antérieures ont eu une incidence négligeable sur la prévention de la violence sexuelle, et que même en 2019, les vulnérabilités des personnes LGBTQI reçoivent peu d’attention, quel est le potentiel normatif et progressif de ces résolutions ?

Il s’est écoulé quatre ans entre la Résolution 2242 et la Résolution 2467 et, pendant ce temps, des avancées en matière de reconnaissance des droits des survivants de sexe masculin et des enfants nés du viol ont certainement été réalisées, de même qu’on est arrivé à une conception de la violence sexuelle comme s’inscrivant dans une continuité entre la paix, la guerre et l’après-conflit.    Nous sommes toutefois coincés entre le besoin d’avancer vers une conception de la violence sexuelle en temps de conflit qui soit centrée sur les survivantes et survivants et les restrictions continues imposées par la politique régressive de l’un des membres permanents.   Tant que les représentants au Conseil de sécurité seront entièrement ou principalement des hommes et que les membres permanents auront le droit de véto, les résolutions sur les femmes, la paix et la sécurité continueront d’être le reflet de rapports de pouvoir géopolitiques et genrés bien enracinés, bien qu’avec des indices importantes des avancées durement acquises pour lesquelles tant de personnes ont lutté toute leur vie.

Les enregistrements des débats sont accessibles ici :  http://webtv.un.org/search?lan=english

Le projet de résolution distribué à l’avance est accessible ici à partir du site de PassBlue : https://t.co/vSD4zgecem

La version finale de la résolution est accessible ici : https://undocs.org/fr/S/RES/2467(2019)

Toutes les résolutions FPS antérieures sont accessibles ici : https://www.un.org/fr/peacekeeping/issues/women/wps.shtml